Le Vent soufflant autour de la Cathédrale de Strasbourg

Une des places les plus venteuses de Strasbourg se trouve à droite et à gauche du portail principal de la cathédrale. Que l’on vienne du nord ou du sud, le vent y fait rage et vous y fouette la figure. Le fait a son analogue devant tous les édifices élevés et isolés ; il n’en reste pas moins qu’un souffle aussi violent s’observe rarement.

“Cette circonstance a donné lieu à la légende suivante qu’une vieille femme raconta jadis à un journaliste.”

Risterhuber P., publié le 8 Novembre 2022 ; Monde Légendaire

“On racontait que le Diable survolais l’Alsace avec l’aide du vent et qu’un beau jour, celui-ci aperçut une sculpture sur la cathédrale le représentant. Sa curiosité et sa vanité suscitées, il décida de s’en approcher mais fut surpris par la messe dominicale, l’emprisonnant à l’intérieur de l’édifice.”

Antonin, publié le 23 Mai 2020 ; Légendes d’Alsace

Satan s’ennuyant dans le marais des enfers fit venir un Vent du Harz pour s’en servir comme de cheval et voir du pays. S’étant abattu sur le Lottelfelsen dans les Vosges, il aperçut dans le lointain la flèche de la cathédrale. Poussé par la curiosité, il tira vers Strasbourg, descendit de monture et entra dans la nef majestueuse.

Tandis qu’il faisait attendre le Vent sur la place, il visita les curiosités de la cathédrale, le Roraffe, c’est-à-dire une figure grimaçante placée au bas des orgues et mise en jeu par le mécanisme de l’instrument, la chaire, enfin sa propre image. Pendant ce temps le temple se remplissait de fidèles et parmi ceux-ci Satan reconnut des hypocrites avec lesquels il se réjouit de faire plus ample connaissance dans son royaume souterrain. Tout à coup un enfant de chœur sonna et le prêtre éleva l’hostie. Satan se vit au même moment emprisonné dans un pilier, dans lequel ? on l’ignore. Mais au dehors le Vent attend toujours son retour et lorsqu’il s’impatiente il remue les portes et les fenêtres et occasionne aux passants, surtout aux femmes, des mésaventures fort désagréables.

“On raconte également, que le diable, quand à lui, toujours emprisonné, formerais un courant d’air au niveau du pilier des anges.”

Laurent Boquet

Le bien contre le mal : un combat monumental a lieu à l’entrée de la cathédrale

“Ce portail nord de Strasbourg est tout à fait étonnant puisqu’il montre de manière frontale et monumentale le thème du combat des Vertus et des Vices, figures allégoriques morales.”

Charlie, publié le 7 avril 2021 ; Pokaa

Il s’agit d’un sujet qui est d’ordinaire montré de manière beaucoup plus discrète et plus isolée, dans des proportions très réduites sur les autres cathédrales de l’époque.

Au-dessus de la porte par laquelle nous accédons à l’intérieur de la cathédrale, se dressent huit grandes statues féminines en train de mettre la raclée à coup de lances à des petits personnages qui se trouvent à leurs pieds. Ces femmes monumentales sont les Vertus. Élégantes et guerrières, elles sont vêtues de tuniques amples à plis profonds et de capes. Certaines sont voilées mais toutes sont couronnées d’un diadème ou d’un bandeau d’orfèvrerie. Chacune d’entre elles forment un couple avec un Vice qu’elles foulent de leurs pieds.

Toutes sont alignées mais pas identiques. Les tailles varient entre 1.75 m et 1.90 m, et les postures diffèrent puisque chacune bouge son bras d’une manière qui lui est propre. Le bras gauche ou le bras droit sont plus ou moins relevés, chacune enfonçant de manière brutale ou plus décontractée une lance dans la tête du petit être impur qui se trouve à ses pieds.

Les gestes de ce groupe de femmes sont très délicats et maniérés. Il est difficile de se dire qu’elles sont pourtant des guerrières redoutables qui sont en train d’étouffer tranquillement huit petits récalcitrants représentants les défauts et les péchés mortels des Hommes : les Vices. A priori, le combat était gagné d’avance puisque les Vices sont de tout petits êtres qui luttent, se contorsionnent et tentent de fuir leur funeste destin. Il est malheureusement trop tard, puisque certains se font déjà transpercer le crâne à coups de lance.

La psychomachie, ou le combat pour l’âme

Le combat entre les Vertus et les Vices est connu chez les Chrétiens comme la Psychomachie, à savoir le combat pour l’âme. Le thème est tiré d’un long poème du poète Prudence qui vécut au 4ème siècle de notre ère. La seconde partie de ce poème nous raconte en 725 vers, le combat allégorique entre chaque Vertu et son contraire. Chacune d’elles s’élance vaillamment à l’assaut de son ennemie, elles sont les soldates du Bien et se battent courageusement jusqu’à ce que le ciel laisse apparaître le Christ, symbole de repli. Le thème n’est pas nouveau puisqu’il se retrouve dans tous les domaines des arts parmi lesquels l’enluminure, la peinture et la sculpture. En s’inspirant de l’œuvre de Prudence, les ateliers de sculpture de Notre-Dame de Strasbourg s’inscrivent dans une longue tradition iconographique.

Cette œuvre, qui fut une source d’inspiration majeure dans l’art médiéval, nous permet de pouvoir nommer au moins sept des huit Vices, sans pouvoir pour autant les identifier précisément puisqu’aucun attribut ne les différencie l’un de l’autre, et ne permet de mettre en avant le défaut moral qu’ils représentent. Sont donc présents Superbia (l’orgueil), Avaritia (l’avarice), Luxuria (la luxure), Invidia (l’envie), Guba (la gourmandise), Ira (la colère) et Acedia (la paresse).

Toutes les pulsions, les tendances et les passions humaines sont donc représentées, et visiblement, elles ne sont pas les bienvenues.

Par ailleurs, les inscriptions qui se trouvaient autrefois sur les parchemins que tient chaque Vertu sont aujourd’hui illisibles, ce qui ne facilite pas la tâche aux chercheurs. Il est donc impossible de reformer les couples de manière certaine, d’autant plus que les qualités représentées variaient d’une cathédrale à une autre.

Un ticket pour le Jugement dernier s’il-vous-plaît !

La représentation de la Psychomachie à l’entrée de la cathédrale n’est pas anodine et vient rappeler au visiteur l’importance des bonnes actions dans sa vie, mais aussi la place de sa foi en Dieu pour vaincre le Mal. 

Les deux bandes rivales qui s’opposent rappellent la lutte intérieure du fidèle qui est constamment tiraillé par ses sentiments et ses pulsions.

Mais, spoiler alert, la suite de l’histoire nous explique que le fidèle qui aura vaincu la tentation et les vices se verra récompensé au jour du Jugement dernierLa taille monumentale des Vertus par rapport aux Vices est là pour remémorer au visiteur l’importance qu’il doit accorder aux actes vertueux au cours de sa vie.

Ce petit rappel a tout son sens ici puisque le Jugement dernier est aussi représenté à l’intérieur de la cathédrale, dans le bras sud du transept, sur le fameux Pilier des Anges, dont nous te parlons davantage dans un autre article.