« Malgré nous »

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L’expression « malgré-nous » désigne les Alsaciens et Mosellans incorporés de force dans la Wehrmacht, l’armée régulière allemande, durant la Seconde Guerre mondiale, que ce soit dans la Heer (armée de terre), dans la Luftwaffe (armée de l’air), dans la Kriegsmarine (marine de guerre), ou encore dans la Waffen-SS. Les femmes incorporées dans les organisations nazies (RADKHD,..) ont été désignées les « malgré-elles. »

« Article de François-Xavier GRIMAUD – 29 août 2022″ ; L’Est Républicain

Déportés militaires & « Malgré-Nous »

LES ALSACIENS ET MOSELLANS INCORPORÉS DE FORCE DANS L’ARMÉE ALLEMANDE

On doit évoquer les Massacres de la vallée de la Saulx, surve­nus le 29 août 1944. Cette affaire s’avère peu connue en Moselle et encore moins en Alsace et pour­tant, dans le dérou­le­ment de ces événe­ments et leurs consé­quences drama­tiques, des incor­po­rés de force jouèrent un rôle essen­tiel.

 Jean-Laurent VONAU
Profes­seur émérite de l’Uni­ver­sité de Stras­bourg
, « Article publié le 30 août 2018 »

  Le contexte

L’af­faire se passa aux confins de la Lorraine, à la limite dépar­te­men­tale entre la Marne et la Meuse, à quelques kilo­mètres à l’Ouest de Bar-le-Duc. En ce mois d’août 1944, la bataille de Norman­die est termi­née. Les Alle­mands commencent à refluer vers l’Est et le Nord, pour­chas­sés par les armées alliées. Le 15 août, la 1ère Armée Française a débarqué en Provence en même temps que la 7ème Armée Améri­caine et toutes deux entament la remon­tée du couloir rhoda­nien. Pour ne pas être prises en tenaille ou pire se trou­ver encer­clées, les troupes alle­mandes remontent au plus vite du Sud-Ouest et du Sud de la France.

Paris est libéré le 25 août. La 3ème Armée Améri­caine et la 2ème Divi­sion Blin­dée de Leclerc tentent alors de foncer sur les Vosges, objec­tif Metz et Stras­bourg.

L’état-major alle­mand perçoit le danger et décide de reti­rer des troupes dIta­lie pour couvrir la retraite des unités enga­gées préa­la­ble­ment en Norman­die, qui se dirigent vers l’Est. Le 20 août, on rappelle ainsi depuis Florence, la 3ème Panzer-Grena­dier Divi­sion, qui doit rejoindre la vallée de la Saulx, à proxi­mité de Bar-le-Duc. Les premiers éléments arrivent sur zone le 26 août. Il s’agit d’une unité moto­ri­sée, dotée d’en­gins à chenilles, de camions et de side-cars pour assu­rer les liai­sons.

    L’ac­cro­chage

Vers 9h 30, a lieu un accro­chage entre un groupe d’une dizaine de Résis­tants et la tête d’une colonne alle­mande, au lieu-dit la Belle-Epine, à 3 km de Robert-Espagne. Le capi­taine qui conduit le déta­che­ment, Gehard Wehr­mann comman­dant la 9ème compa­gnie de ce 29ème régi­ment aurait ainsi essuyé un coup de feu. A-t-il été touché ? A-t-il été blessé ? Dans l’échauf­fou­rée qui s’en est suivie, y a-t-il eu des morts ? On ne le sait pas mais toujours est-il que cet offi­cier prend peur. Paniqué, il décide séance tenante des mesures de repré­sailles. Il veut inti­mi­der les maqui­sards, les tenir à distance et éviter ainsi des embus­cades dans l’ave­nir. Il est vrai que devant lui sur sa gauche, s’étend l’im­mense domaine boisé que l’on appelle la Forêt des Trois Fontaine qui est truf­fée de maquis. Des maquis qui ont béné­fi­cié récem­ment de para­chu­tages d’armes et qui sont épau­lés par des éléments du S.A.S. anglais (service armé britan­nique d’aide aux maqui­sards). Les Alle­mands ont déjà subi des sabo­tages ferro­viaires notam­ment dans la nuit du 27 au 28 août, lorsqu’on constata la rupture de la voie près de la gare de Somme­lonne, à proxi­mité de St. Dizier, ce qui bloqua l’ar­ri­vée d’un convoi mili­taire de la 3ème Panzer-Grena­dier Divi­sion.

La tuerie

Robert-Espagne est le premier bourg à subir cette tragé­die. Vers 11h, des soldats bloquent tous les accès à la loca­lité. On ne peut plus ni y entrer, ni en sortir.

Michel Marcilly : jeune témoin du massacre

Puis une tren­taine de mili­taires commence par rassem­bler les hommes du haut du village. Ils se saisissent même du chef de la brigade de gendar­me­rie, de son fils et de deux gendarmes. Lorsqu’ils arrivent au centre de l’ag­glo­mé­ra­tion, il est presque midi. On surprend les hommes au repas fami­lial. Le bas du village n’est ratissé qu’a­près 12h30, après l’ar­ri­vée d’un camion amenant une quin­zaine de soldats, venant en renfort de Beurey. A cette heure, l’ef­fet de surprise ne joue plus. Il est vrai­sem­blable égale­ment que parmi les nouveaux arri­vants se trouvent des incor­po­rés de force qui aver­tissent les habi­tants du danger. Toujours est-il qu’un grand nombre de villa­geois se sauvent dans la forêt toute proche. Il n’y aura que 4 victimes dans ce quar­tier… Par contre 50 hommes de 17 à 59 ans sont amenés près de la gare. On les aligne au pied du talus ferro­viaire, face à deux mitrailleuses.

Parmi les tireurs dési­gnés, se trouve Xavier Sonnen­mo­ser, un incor­poré de force alsa­cien de la classe 1922, origi­naire sans doute de Schwei­ghouse-sur-Moder, « qui refuse de tirer sur des Français » (1), ce qui lui vaudra l’ar­res­ta­tion immé­diate et la menace du passage devant le tribu­nal mili­taire (2). Il est remplacé par un « Reichs­deutsche Soldat » (un Alle­mand d’ori­gine).

A 15 h de l’après-midi, sur ordre donné, les mitrailleuses crépitent. Les soldats forcent même les femmes qui habitent à proxi­mité de la gare à défi­ler devant les cinquante cada­vres… Puis à l’aide de plaquettes de phos­phore, ils incen­dient la loca­lité. Sur les 300 maisons que comp­tait le bourg, 200 sont réduites en cendre…

Pour Mogné­ville, les arres­ta­tions débutent dès 10h30 du matin. Elles sont opérées par une tren­taine de soldats. Le notaire de Revi­gny, Me Rouy, Mosel­lan d’ori­gine et parlant l’al­le­mand, entame un dialogue avec le jeune sous-lieu­te­nant Edmund Fritsch qui les commande. Les ordres que ce dernier a reçus sont formels : il faut détruire le village et fusiller tous les hommes. Me Rouy avec l’ap­pui d’un Alsa­cien origi­naire sans doute de Stras­bourg, Alfred Schaef­fer, incor­poré de force, réus­sit à limi­ter le drame. Les hommes sont relâ­chés mais à 22h seule­ment, c’est-dire l’âpreté des négo­cia­tions. Ils se sauvent et se cachent au plus vite. Quelques maisons seule­ment sont incen­diées. Toute­fois, malgré tout, trois personnes y perdent la vie.

La jour­née du 29 août 1944 aura fait 86 morts dans la popu­la­tion civile de la vallée de la Saulx.

Massacre dans la vallée de la Saulx

Des bles­sés décè­de­ront encore les jours suivants. Le chiffre des victimes peut donc être porté à 88 victimes. Plus de 330 maisons ont été détruites.

L’at­ti­tude des incor­po­rés de force

Quel rôle ont joué les incor­po­rés de force lors de ce massacre ? Il est démon­tré qu’ils ont essayé de sauver des vies humaines. Cela a été un choix. Plutôt brûler des maisons que de porter atteinte à des vies. Ils n’ont pas réussi à empê­cher la commis­sion des crimes de guerre mais ils sont parve­nus à en atté­nuer l’am­pleur. M. Jean-Pierre Harbu­lot, histo­rien qui a analysé ces événe­ments, consi­dère égale­ment, que « le bilan aurait été beau­coup plus lourd si des soldats alle­mands, le plus souvent alsa­ciens ou mosel­lans, n’avaient pas invité la popu­la­tion à fuir ou si des Français parlant l’al­le­mand n’étaient pas inter­ve­nus…en faveur de leurs compa­triotes ». Ils ont donc forte­ment contri­bué à atté­nuer les consé­quences de cette tragé­die. Certes, ils ne furent pas les seuls à inter­ve­nir et heureu­se­ment car la portée de leurs actes aurait été moindre en agis­sant isolé­ment. Deux soldats alle­mands d’ori­gine et au moins un Autri­chien adoptèrent la même atti­tude et contri­buèrent à sabo­ter l’ordre reçu. Il n’em­pêche que leur action a été déter­mi­nante.

Pourquoi alors, ce qui s’est produit pour la vallée de la Saulx, n’a pas pu fonc­tion­ner à Oradour-sur-Glane ? D’abord on oublie trop souvent que même à Oradour quelques vies ont pu être épar­gnées, grâce à des mili­taires notam­ment des incor­po­rés de force mais pas dans les mêmes propor­tions. Cela est dû à trois raisons majeures : en premier lieu, il faut mention­ner que pour la vallée de la Saulx, la troupe, le soldat sans grade, savait avant le début de l’opé­ra­tion, qu’il devait colla­bo­rer à un massacre. Cela laisse le temps de se concer­ter, de discu­ter et donc de déci­der d’une atti­tude collec­tive. Il ne fait aucun doute que les incor­po­rés de force se connais­saient et connais­saient l’orien­ta­tion idéo­lo­gique des uns et des autres. Ce n’était pas leur premier enga­ge­ment mili­taire. En second lieu, il faut souli­gner que ces soldats aguer­ris étaient des adultes qui savaient prendre leurs respon­sa­bi­li­tés et non des mineurs de 17 ans comme à Oradour. Enfin et surtout, il s’agit d’une unité de la Wehr­macht et non de la Waffen-SS. Cela change tout au point de vue instruc­tion, menta­lité domi­nante et disci­pli­ne… Une troupe d’élite doit être exem­plaire en tout.

Toute­fois des préci­sions devraient encore être appor­tées à ces faits. Dès lors, il serait de la plus haute impor­tance que l’on dispose de plus de rensei­gne­ments sur l’in­ter­ven­tion des incor­po­rés de force Alsa­ciens et Mosel­lans dans cette affaire. Si des lecteurs devaient s’y recon­naître ou peuvent iden­ti­fier certains parmi eux, il serait très utile de se mani­fes­ter afin d’éclair­cir le compor­te­ment de chacun dans cette tragé­die qui demeure malheu­reu­se­ment un véri­table massacre.

Malgré-Nous, les Oubliés de l’Histoire – Vidéo Dailymotion

« Les obsèques de Robert Hébras » ; dernier témoin vivant de la barbarie d’Oradour-sur-Glane, le 17 février 2023

Les « Malgré-eux »

 

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